A Londres le 6 fevrier 1778.
[Extract]
No. 7.
J'ai reçu, Monsieur le comte, la lettre No. 4 que vous m'avéz fait l'honneur de m'écrire le 31 du mois passé, et à laquelle j'ai trouvé joint un nouveau rapport relatif à des excès commis par trois Chaloupes angloises dans les Parages de la Martinique contre un Bâtiment françois nommé la Cerès.1 La connaissance de ce grief ne m'étoit point encore parvenue, quand j'ai été chez le Lord Weymouth. Mais je ne manquerai pas de l'en informer à la première occasion. En attendant, je crois m'être expliqué clairement avec lui sur ce qui fait le sujet continue1 de nos plaintes et de notre juste mécontentement.
J'ai pris mon texte d'une lettre que je venois de recevoir de Portsmouth d'un nommé Henry Grand qui me prioit de lui faire avoir sa liberté.2 J'ai laissé l'original entre les mains du Secretaire d'Etat et j'ai l'honneur de vous en envoyer la copie.3 Vous verrez, Monsieur le Comte, qu'il s'agit du Bâtiment françois le Thamas Koulikan qui a été arrêté dans le Golfe de Gascogne et regardé comme prise américaine, quoiqu'il partit de nos Ports et qu'il fut expédié pour St. Domingue.
L'interprétation dont la lettre en question m'a paru susceptible a été, ainsi que je n'ai pu m'empêcher de l'observer au Lord Weymouth,4 que tout tendoit visiblement à la guerre, lui ajoutant qu'il étoit difficile de croire désormais qu'on eut ici tant d'envie de l'eloigner, lorsque les actions contredisoient constamment et habituellement les assûrances de Paix et d'amitié qu'on se contentoit de répéter sans en faire connoitre la Réalité qu'il n'étoit pas juste que la guerre que l'Angleterre faisoit aujourd'hui en Amérique entrainât des mesures oppressives pour le Commerce a la navigation des Puissances neutres; qu'on ne conviendroit jamais de rien d'utile et qui prévint les difficultés, si l'on s'écartoit de l'unique principe: que tout Bâtiment françois devoit être respecté sans aucune restriction lorsqu'il se trouvoit en pleine mer, et qu'à l'exception de la representation des Lettres de mer, il ne pourvoit être soumis aux recherches et à la visite des vaisseaux Anglois, qu'autant qu'il approchoit de trop près les Côtes de L'Angleterre ou les Côtes de L'Amérique: que si on laissoit les soupcons et la méfiance s'exercer librement, les abus les plus intolérables et qui se sont infiniment multipliés depuis l'établissement des Lettres de marque, continueroient de se manifester de la manière la plus fâcheuse pour nous, et que ce seroit là le prix de la modération de Sa Majesté et des efforts de son Ministère pour conserver la tranquillité générale.
Milord Weymouth me repliqua que les Ministres du Roi mon maitre n'arrivent jamais prétendre justifier les Particuliers,5 qui entreprendroient de faire passer aux Américains des munitions de guerre et des approvisionnements de toute espece; que vous, Monsieur le Comte, et M. le Comte de Maurepas aviez dit au Lord Stormont, que s'il se commettoit des abus à l'insçu de notre Gouvernement, c'étoit à l'Angleterre à se faire justice et à faire arrêter, quand elle le pourroit, les Bâtiments qui seroient soupçonnés d'être chargés en fraude pour l'Amérique. Il m'ajoutoit que la visite et les recherches dont je me plaignoit devenoient tous les jours plus nécessaires, attendu que les Américains prénoient souvent le Pavillon françois; que communément au moment où se faisoit la reconnoissance en mer, on jettoit les vrais papiers pour ne produire que des Expéditions simulées; qu'enfin il regnoit tant de collusion dans les Entreprises particulières qui étoient faites pour le compte des Américains, qu'on ne pouvoit découvrir la verité sans prendre beaucoup de précautions. La derniere observation du Lord Weymouth fut qu'il falloit considérer l'intention; qu'elle seule faisoit l'insulte de Cour à Cour; qu'il me répondoit à cet égard de tout ce que nous pouvions attendre de la sienne pour le desir de conserver la Paix et de nous procurer le redressement de nos Plaintes lorsqu'elles se trouveroient fondée en justice. Il me promet de m'envoyer incessamment une réponse, qui me prouveroit que le Bâtiment que j'avois reclami en dernier lieu nommi l'aimable Reine itoit un BBtiment hollandois acheté à Dunkerque au mois de novembre 1776, et destiné à porter des marchandises à la Caroline.6 Je lui répondis que le Roi mon maitre verroit sans peine, lorsque ses sujets servoient en faute, qu'ils fussent punis; mais lorqu'ils seroient innocents, que Sa Majesté ne souffriroit pas qu'ils restassent dans I'oppression. J'ai toujours conclu en faveur de mon premier principe, objectant au Lord Weymouth, que d'après les raisons mêmes qu'il venoit de me donner, on ne sauroit plus à quels signes distinguer, si un Bâtiment devoit être respecté comme françois ou jugé de bonne prise comme Américain. Loin de retracter les Sentimens que je lui avoit exprimés, je l'ai fort assuré que ces Sentimens étoient entierement conformes à la façon de penser de tous les Ministres de Sa Majesté.
Je lui representai aussi par forme de conversation, et non ministeriellement,7 que s'il y avoit quelque fondement à certains avis que je pourroit lui citer, ce seroit bien une autre imprudence que de laisser les Vaisseaux de guerre Anglois établir leur croisière trop près des Côtes de France. Le Lord Weyrnouth m'interrompit pour me prier de ne pas ajouter foi à tout ce qui étoit dit lundi dernier dans la chambre des Pairs, où le Lord Cambden avoit avancé que les Ports de France itoient bloquis, la guerre inevitable avant un mois, et qu'il n'y avoit aucun lieu de douter que nous ne fussions entrés en négotiation avec les Arnéricains.8
Je ne fus pas embarrassé de lui persuader que je ne m'attachois en auçune facon au discours du Lord Cambden; qu'aiant vu une lettre de Nantes écrite par un des principaux Négotiant de cette Ville, j'avois lû qu'on s'y regardoit comme bloqué par des Vaisseaux Anglois; que c'étoit la crainte que ce récit n'eut quelque apparence de verité qui m'avoit engagé à lui en parler, parceque ma Cour n'en seroit pas plutôt informée qu'elle enverroit promptement les ordres les plus précis, pour qu'on fit retirer les Vaisseaux Anglois, et qu'on les obligeât de se tenir à une distance convenable de nos Côtes.
Passant ensuite de lui même aux affaires d'Allemagne . . . ; j'écoutai le Lord Weymouth et je finis par lui dire que dans la position où je me trouvois il me permettroit de lui avouer qu'il n'y avoit point de nouvelles auxquelles je prisse plus l'intérêt qu'à celle qui m'apprendroit ici la restitution d'un Bâtiment francois. Ce furent les dernier mots de notre entretien. Qu'ai-je obtenu du Lord Weyrnouth, et que puis-je vous laisser esperer, Monsieur le Comte, pour la Saison qui va rétablir l'activité du Commerce et de la Navigation, ou plutôt fournir à ce Pays-ci des occasions plus fréquentes de troubler l'un et l'autre à notre préjudice?. . . J'ai l'honneur d'être [&c.]
Le Mis. de Noailles
[Translation]
No. 7
Your Lordship, I have received letter No. 4 which you were kind enough to write me on the 31st of last month, to which you attached the latest report relating to the abuses perpetrated by three English sloops near Martinique against a French ship called the Cères.1 Knowledge of this unfortunate incident had not yet reached me when I was visiting Lord Weymouth. But at the first opportunity, I will most certainly inform him. While waiting, I believe I explained myself clearly to him with regard to the source of our continual complaints and justifiable displeasure.
I took my text from a letter which I had just received from Portsmouth from a man named Henry Grand who begged me to procure him his freedom.2 I left the original with the Secretary of State and I am pleased to send you a copy of it.3 You will see, Your Lordship, that it concerns the French ship Thamas Koulikan, which was stopped in the Bay of Biscay and considered an American capture, although it had left from our ports and was headed for Dominica.
The interpretation suggested by the letter was—just as I could not help observing to Lord Weymouth4—that things were obviously leaning toward war, and I added to him that from now on it would be difficult to believe that people here were eager not to get involved in one, since their actions continually and regularly contradicted the assurances of peace and friendship they kept blithely repeating, while ignoring the reality, which is that it is unfair for England's war in America to entail oppressive measures taken against the commerce and shipping activities of neutral powers; it would serve no good purpose and has created difficulties to diverge from the principle that any French ship has to be respected without restrictions when at sea, and—with the exception of showing ship's papers—that a French ship could be searched and boarded by English ships only if it came too close to the coast of America or the coast of England; that if we allowed suspicions and mistrust to run rampant, the most intolerable abuses, which multiplied several times over following the establishment of letters of marque, would continue to occur, angering us considerably, and that this would be the price of His Majesty's moderation and the efforts of his Minister to preserve the general peace.
My Lord Weyrnouth replied to me that the Ministers of my master the King have never managed to prove the innocence of the individuals who were trying to pass war munitions and supplies of all kinds to the Americans;5 that you, My Lord, and My Lord the Comte de Maurepas had said to Lord Stormont that if abuses were being perpetrated without the knowledge of our government, then it was England's responsibility to see justice served and to stop when possible the ships suspected of smuggling goods to America. He added to me that the boarding and searches about which I was complaining were becoming more and more necessary, since the Americans often hid behind the French flag; that usually as soon as an inspection at sea was imminent, they tossed their real papers overboard in order to produce only fake papers; that finally, there was so much collusion among the various private enterprises that have thrown their lot in with the Americans, the truth could not be discovered without taking a good many precautions. Lord Weymouth's last remark was that the intent had to be taken into consideration; that the intent alone was enough to serve as an insult from one Royal Court to an- - other; that his answer to me in this regard was the only thing we could expect from his Royal Court in the interests of preserving the peace and obtaining redress for our complaints, if in fact they were justified. He promises me a response that will prove that the ship I had claimed most recently, called I'Aimable Reine, was a Dutch ship purchased in Dunkirk in November 1776, and was intended for carrying merchandise to Carolina.6 I answered him that my master the King was not averse to his subjects being punished if in fact they were at fault, but when they were innocent, His Majesty would not tolerate their continued oppression. I continued to uphold my first principle, objecting to Lord Weymouth that by the criteria he had just given me, it would be impossible for anyone to distinguish whether a ship should be respected as French orjudged a lawful American prize. I did not retract the sentiments I had just expressed to him, but rather assured him firmly that these sentiments reflected the opinion of all His Majesty's Ministers.
I told him also, by way of conversation and not of ministerial business,7 that if there were any foundation to certain opinions which I could cite, it would be rather unwise to allow English warships to sail too close to the coast of France. Lord Weymouth interrupted me, saying I should not take seriously what was said last Monday in the House of Lords, where Lord Camden had suggested that the ports of France were blockaded, that war was inevitable within one month, and that there was no reason to doubt that we had begun to negotiate with the Americans.8
I was quick to assure him that I placed no faith in Lord Camden's speech, that having seen a letter from Nantes written by one of the leading merchants in that city, I had read that they considered themselves blockaded by English vessels; that it was their fear which had led me to speak to him of it, since no sooner would my Court have been informed of it, thenvery specific orders would be issued to require the English vessels to withdraw and keep them at a proper distance from our coast.
He switched to the subject of Germany. . . ; I listened to Lord Weymouth, and concluded by telling him that the best news I could hear would be that a French ship had been returned. These words ended the conversation. What did I get out of Lord Weymouth, and what hope can I give you, My Lordship, for the coming season to reestablish commercial activity and shipping, or rather to provide this country more frequent opportunities to harass our commerce and shipping to our detriment?. . . I have the honor to be [&c.]