Mémoire du Roi
pour servir d'instruction particuliere au
Sre. Cher. Bernard de Marigny Lt. de Vau.
Commandt. la frégte. du Roi La Belle Poule.
Sa Mté. ayant fait choix de Sre. Cher. Bernard de Marigny Lt. de son Vaux., Commandant sa fregate la Belle Poule, pour une Mission particuliere,1 Elle va lui faire con naître ses intentions par la présente instruction, tout sur l'objet général de la dte. mission que sur la conduite qu'il aura à tenir suivant les circonstances.
Quoiqu'il ait été ordonné au Sr. Cher. Marigny par la 1re. Instruction qui lui a été adressée pour la meme date que la présente,2 de se rendre aux îles de St. Pierre & Miquelon, il ne Cherchera pour ces îles; mais il dirigera sa route et sa manoeuvre de maniere à arriver en droiture à Boston ou à tel autre Port de la nouvelle Angleterre, occupé par les insurgens, où il lui sera plus prompt et plus facile d'aborder.
Si à l'atterage, il rencontroit quelque frégate ou Corsaire anglois qui lui demandât de motif de son apparition sur la Côte de la nouvelle angleterre; il prétexteroit la contrarieté des vents qui lui ayant refusé l'accès des îles de St. Pre. et Miquelon pour lesquelles il étoit destiné, l'ont jetté sur cette côte; et que se trouvant dans le besoin d'eau & d'autres raffraichissemens, il cherche un mouillage pour s'en procurer.
Sa Mté. connoissant la prudence et la sagesse du Sre. Cher. de Marigny, croit inutile de lui recommander de mettre la plus grande honnêteté dans ses propos & dans ses procédés envers les anglois, s'il en rencontre; de n'être pas le premier à commettre aucune hostilité, et de se contenter de repousser la force par la force, si l'on osoit l'employer contre lui.
Lorsque le Sre. Cher. de Marigny sera arrivé dans un port de la nouvelle Angleterre, il laissera aux Passagers3 qu'il aura reçus à Bordeaux, la liberté de se debarquer: et afin de se procurer à lui même l'occasion d'y faire quelque séjour, pour y prendre des connoissances de la situation du Pays, de la disposition des esprits, de l'Etat des affaires et des augures qu'on y forme pour la suite de la guerre; il s'annoncera comme chargé de retirer ceux des matelots françoise qui se trouveront sur le Pays. Il recevra, en effet, à son bord tous ceux qu'il pourra rassembler et les ramenera en france. Il doit observer à ce sujet, qu'il n'est pas probable que le Gouvernement de la Province où il abordera, lui prête main forte pour contraindre à s'embarquer sur la frégate du Roi, les matelots français émigrés: il n'en fera pas l'instance; mais il emploira tous les moyens de persuasion pour les engager à revenir, en les assurant même de la part du Roi, qu'ils ne seront pas recherché et punis pour cause de cette évasion.
Le Sre. Cher. de Marigni évitera de fre. un long sejour dans le Port de la Nlle. Angleterre où il aura abordé: il ne s'y arrêtera que le tenir absolument nécessaire pour faire reposer son Equipage, et se procurer les connoissances & renseignements qu'il lui fera possible de recueillir.
Il aura la plus grande attention pend. son séjour; de tenir son Equipage dans la regle la plus stricte et sous les loix de la discipline la plus exacte, à cet effet, il ne permettra point à ses gens de descendre à terre: et lorsqu'il sera dans le cas de commander une Chaloupe pour le service de sa frégate, il y fera toujours embarquer un officier à qui il prescrira de ne point quitter la Chaloupe et d'empecher que les matelots ne s'en écartent. Il aura soin de composer l'Equipage de son Canot, des gens les plus surs qu'il aura à son bord, et sur la Sagesse et l'exactitude desquels il puisse compter; tant pour éviter toute contestation avec les habitans du Pays, que pour prévenir la désertion; et engager même par des assurances de pardon et des invitations, les matelots françois émigrés à revenir en france.
Si le Sre. Cher. de Marigny venoit à apprendre que la paix est faite ou prête à se conclure entre l'Angleterre et les Etats unis de l'Amérique, il reviendroit aussitôt en france pour en apporter la nouvelle.
Le Sre. Cher. de Marigny naviguera avec les plus grandes précautions en faist. son retour en france: il évitera le plus qu'il pourra de se mettre à portee des Bâtimens d'une force supérieure aux siennes; mais il fera en sorte de joindre ceux qui lui paroîtront inférieures, afin de se procurer des nouvelles. Si dans sa traversée, il n'apprend rien qui puisse lui faire soupçonner l'interruption de la tranquilité publique en Europe, il fera son retour directement à Brest: dans le cas contraire, il prendra le 1er. Port de France ou d'Espagne où il pourra aborder.
Il ne communiquera la présente Instruction à qui que ce soit, par même à aucun officier de son Etat major—elle doit être surete et pour lui seul.
Sa Mté. ne pouvoit donner au Sre. Cher. de Marigny une marque plus distinguée de la confiance qu'Elle a dans ses talens et son intelligence, qu'en lui confiant l'exécution des ordres contenus dans la présente Instruction: Elle est persuadée qu'il sentira toute l'importance de la mission dont il est chargé; et Elle ne compte pas moins sur sa prudence, sa sagesse et sa discretion, que sur le zèle et la fermeté dont il Lui a donné des preuves.
Fait à Versailles le 20 Xbre. 1777. Signé Louis, et plus bas, de Sartine.
[Translation]
20th Dec. 1777
Memorandum from the King
to serve as special instruction to the
Chevalier Bernard de Marigny Lieutenant
de Vaisseau commanding the royal frigate
La Belle Poule
His Majesty, having chosen the Chevalier Bernard de Marigny, Lieutenant de Vaisseau commanding the frigate Belle Poule, for a special mission,1 he will communicate his plans in these instructions on the general object of the said mission and on the conduct to be followed, depending on the circumstances.
No matter what the Chevalier de Marigny was ordered to do in the 1st instructions sent him for the same date as these instructions,2 to proceed to the St. Pierre and Miquelon Islands, he shall not search for these islands, but rather direct his course and maneuvers in such a way as to reach Boston or some other part of New England occupied by the insurgents, where it will be faster and easier to arrive.
If upon his landfall, he meets some English frigate or privateer that asks him why he is there on the coast of New England, he must make the excuse that the winds had prevented him from reaching St. Pierre and Miquelon, his original destination, and threw him up on that coast, and that needing water and other provisions he was looking for a place to anchor so he could obtain these things.
His Majesty is well aware of the Chevalier de Marigny's circumspection and wisdom and knows he does not have to remind him to maintain civility in his conversation and in his dealings with the English, if he meets any, not to initiate hostility, but merely to deflect blow for blow any attack which they might dare make against him.
When the Chevalier de Marigny arrives at a port in New England, he shall allow the passengers3 he picked up in Bordeaux the freedom to disembark, and so that he himself might take the opportunity to travel a bit and scout for information on the situation of the country, the general mood, the state of affairs, and indications that one might gather concerning the results of the war, and he shall announce that he is responsible for bringing back French sailors he finds in that country. He will then in fact take on board all those he can gather together, and bring them back to France. Realize in this matter that the provincial government where he arrives is unlikely actually to try to bar the émigré French seamen from boarding his Majesty's ship: he must not insist, but rather use all means of persuasion to get them to return, even assuring them on the part of the king that they will not be tracked down and punished for their evasion.
The Chevalier de Marigni shall avoid staying long at the port in New England where he puts ashore; he must stay only as long as is necessary to rest his crew and obtain whatever information and intelligence he can gather.
During his voyage he must take great care to keep his crew in strict order and under tight control. To achieve this, he must not allow his men to set foot on the ground, and when the need arises to take a ship's boat out for the service of the frigate, he must man it with an officer under orders never to leave the boat alone and to make sure the seamen do not stray. For this ship's boat, he must assemble a crew from among the most reliable men he has on board, whose discretion and punctuality he can trust, both to avoid any conflict with the inhabitants of the country and to prevent desertion; use promises of a pardon as well as enticements to get émigré French seamen to return to France.
If the Chevalier de Marigny learns that England and the United States of America have made their peace or are about to make it, he must return as soon as possible to France to report the news...
The Chevalier de Marigny must navigate carefully returning to France, avoiding to the greatest extent possible putting himself within range of ships stronger than his own, but arranging to join those ships that are weaker, in order to get news. If during his crossing he learns nothing that would lead him to suspect an interruption of public peace in Europe, he must proceed directly to Brest; if the opposite is the case, then he must land at the first place he can find, in France or Spain.
He must not communicate these instructions to anyone at all, not even his officers; the instructions must be locked up, accessible only to him.
His Majesty could not give the Chevalier de Marigny a more distinguished token of his great confidence in his skills and intelligence than to bestow on him the responsibility of carrying out the orders contained herein: His Majesty knows that the Chevalier de Marigny is aware of the critical nature of this mission he has been given, and is counting no less so on his circumspection, wisdom and discretion, as well as his vigor and reliability, of which qualities he has given the king demonstrations.
Written at Versailles on 20 December 1777, Signed Louis, and underneath, de Sartine.